jeudi 1 octobre 2009

Pli creux et martingale





J'avais immédiatement pensé à elle en voyant le coupon de drap de laine, un gris foncé, tout doux et pas trop épais. Elle ne voulait plus de manteau anglais comme ceux qui ont accompagné ses cinq hivers et même si elle admettait que les martingales avaient du chic, que les plis creux dans le dos étaient élégants, que les cols ronds lui allaient bien, que la longueur couvrait parfaitement ses robes d'hiver, elle semblait déterminée dans son choix. Bien sûr, j'aurais pu lui imposer sans lui demander son avis ou en en faisant fi, comme il m'arrive de le faire, certains matins pour la coiffure ou les vêtements ; mais je voulais, cette fois, prendre en compte son refus qui disait aussi sans doute son envie de ressembler à la majorité des petites filles croisées dans la rue. Quand j'ai vu le drap de laine, je n'ai pas hésité. Il allait parfaitement avec le coupon qui était déjà dans mon sac, le petit écossais mauve avec une rayure grise. J'avais imaginé qu'elle serait contente de mon achat et qu'elle rêverait avec moi de la coupe à lui donner. Mais le tissu ne semblait pas lui plaire autant qu'à moi ; un peu foncé, sans doute. Mais il était doux et chaud, elle en convenait. Elle voulait un manteau court, qui ne soit pas complètement une veste. Elle était d'accord pour la capuche et la martingale, ce qui, je l'avoue, n'était pas pour le déplaire, ajoutant du même coup le petit pli creux dans le dos, rappelant sans le lui dire, les fameux manteaux qu'elle laissait sans peine à sa petite soeur. Elle avait regardé le modèle du livre qui est un peu celui de mon chevet et je lui avais expliqué par le menu les petits détails que j'ajouterais, comme les poches doublées, le bord de la capuche, les manches avec un revers pour rappeler la doublure et les boutons recouverts. Elle avait l'air d'accord mais je n'ai pas réussi à sentir si c'était pour ne pas me décevoir ou si cette idée de veste longue ou de manteau court lui plaisait vraiment. Pendant qu'elle était à l'école, j'ai modifié le patron et coupé le tissu. Je voulais que les poches soient cousues lors de son retour, pour qu'elle voie le mariage des étoffes et qu'elle s'imagine ce qui allait advenir de toutes ces pièces découpées en double et pliées sur la table du salon. Elle a gentiment souri et acquiescé et puis elle est partie jouer... A l'étape suivante, celle de l'essayage, elle ne s'est pas prêtée de très bon coeur. Non pas qu'elle ait refusé mais elle avait hâte d'ôter ce que je lui demandais de porter avec le secret espoir qu'elle voudrait se regarder dans le miroir ou au moins dans le reflet de la vitre, qu'elle se mettrait à tourner ou à caresser ce drap de laine que je ne me lassais pas d'effleurer. Elle avait hâte de jouer et je lui ai laissé son libre envol. Ce matin, lorsqu'elle s'est réveillée, il ne restait que les petits détails à peaufiner. En plaisantant, elle m'a dit qu'il ne lui plaisait pas, qu'il n'était pas doux, qu'elle n'aimait pas la capuche, et je n'ai pas su lire dans ses fossettes si elle jouait à me taquiner comme je le fais si souvent, ou si un fond de vérité tentait d'arriver jusqu'à mon seul désir : celui de lui faire plaisir. J'ai cousu la martingale dans la salle d'attente du médecin et puis l'ourlet sur un banc au parc, profitant d'un soleil encore délicieux qui donnait l'illusion qu'il pourrait hâler les peaux abandonnées par les souvenirs des vacances. Les petites allaient et venaient, jambes nues, soufflant sur leurs bulles, sautant à la corde, jouant sans doute pour la dernière fois avec l'eau de la fontaine en m'assurant qu'elles n'étaient pas mouillées et que tout allait sécher... Point par point, j'ai cousu l'ourlet du bas dans le drap de laine et puis celui de la doublure. Je ne voulais pas entendre le clocher sonner avant d'avoir appliqué le dernier point et coupé le fil du noeud ultime. J'étais contente du résultat, encouragée par une amie qui n'avait pu empêcher sa main de caresser le fameux tissu gris, visiblement séduite par le petit manteau. Une fois encore, la demoiselle a dit en souriant qu'il ne lui plaisait pas. C'est pendant son sommeil que j'ai terminé l'ouvrage. Il est dans le salon, pendu par la capuche, semblant attendre son heure. J'ai recouvert les boutons, ceux du devant et de la martingale. J'ai donné un dernier coup de fer, léger, sur les coutures et la doublure, et j'attends déjà demain avec impatience, pour savoir si elle aura envie de l'étrenner immédiatement, si elle voudra s'admirer, si elle plaisantait depuis le début ou si, vraiment, j'ai cousu un manteau qui ne ressemble en rien à celui de ses rêves...



8 commentaires:

Elolili a dit…

Alors ? Alors ?

Dorémi a dit…

Ce sont ses goûts et sa personnalité qui s'affirment… C'est la vie :-)

Anonyme a dit…

Une petite demoiselle qui grandit ... Et finalement, qu'en pense-t-elle? De ce que nous en voyons, il semble superbe.
Lor

Cath a dit…

Alors !!
Il me tarde de voir les photos !!

annefromhk a dit…

Quel est le verdict ?!
je me repete mais, quel talent ! il me plait bien a moi ce petit manteau gris...

olive & pia a dit…

il est à tomber ce manteau ma belle ! sorry pour ce silence...si peu de temps, du mal à aterrir de ces vacances, des projets plein la tête et les mains...bref, je ne t'oublie pas ma biche !

Emma a dit…

Il est vraiment beau, ce manteau!
Le même modèle est en projet ici, dans un tout autre style!

Cécile a dit…

Mademoiselle est une farceuse ! on se demande de qui elle tient !