dimanche 4 avril 2010

Passion-aimant


J'ai longtemps regardé le temps passer par la fenêtre en me demandant ce que je pourrais bien faire. J'ai grandi avec l'ennui. Ce n'était la faute de personne, c'était moi que rien n'intéressait. J'aimais l'idée de sortir, l'idée de découvrir des lieux et d'autres visages, mais j'aimais avant tout rester dans ma chambre à attendre le jour magique où il se passerait quelque chose, où une étincelle viendrait me donner une envie, un élan, un souffle qui m'anime. J'ai cherché longtemps ce qui aurait pu être une passion, un sujet de conversation intarissable, quelque chose qui me fasse dépasser les besoins les plus élémentaires jusqu'à devenir le seul centre de mes intérêts.
J'ai touché à beaucoup de choses, sans jamais approfondir, abandonnant aux premiers classements, aux premières difficultés, avec un vague sentiment d'échec et les restes matériels de ce qu'il m'avait fallu acheter pour commencer mes premiers pas dans le domaine choisi. Il me reste des bottes, une bombe, un jodhpur et une cravache. Il me reste une paire de chaussons, des pointes et un justaucorps. Il me reste des partitions, pour choeur et piano. Il me reste aussi des kilos de feuilles noircies qui racontent souvent le néant passé sous mes fenêtres...
Et puis, je ne sais comment, je ne sais pourquoi, peut-être parce que l'instinct pousse malgré soi sur les sentiers qui vont nous plaire, j'ai voulu apprendre et découvrir. J'ai rêvé de rubans et de boutons, de tissus et de broderies, avec toujours cette peur de ne pas savoir et de mal faire, avec aussi ce désir pugnace de finir par ne plus trembler en coupant, de coudre droit et de savoir refaire seule un ouvrage observé ou juste aperçu. L'idée du potentiel d'un mètre de tissu m'a toujours fascinée. J'étais adolescente quand ma grand-mère m'a confié son vieux mannequin de couture. J'étais petite fille quand j'ai observé ses gestes experts et assurés, ses aiguilles coincées entre les lèvres, ses mains qui prenaient les mesures, le bruit de ces ciseaux sur le tissu et la magie du résultat final.
J'ai longtemps vécu sans passion, avec pour seul moteur un sacrosaint sens du devoir accompli, laissant aux autres cet élan qui me fascinait, les poussant à ressortir sous la pluie pour une heure de peinture ou un match de tennis, une exposition à ne pas manquer ou un tournoi d'échecs. Désormais, je sais ce besoin presque vital de céder à son envie, cette façon particulière de se couper du monde tout en restant là, mais tellement loin qu'on pourrait croire qu'on se fuit soi-même. Les enfants savent toujours où me trouver, sans jamais me chercher. Ils entendent la machine qui répond à la vapeur du fer. J'aimerais parfois pouvoir me cacher, oublier l'heure et les repas, étouffer ma fatigue et le bruit de la machine pour coudre la nuit, avoir plus de temps et travailler plus vite. Je sais maintenant ce qu'est une passion et je ne connais plus l'ennui qui m'a rongée longtemps.

16 commentaires:

Alix et Marc a dit…

Au point d'envoyer le mari et les enfants faire les courses un dimanche matin en prétextant la fatigue, pour pouvoir passer une demi-heure de plus en tête à tête avec sa machine et son tissu.
Pourvu qu'il y ait la queue au supermarché !

Az a dit…

Est-ce que tu fais des couvertures extérieur en ripstop 1200 deniers et intérieur coton doublage polyfill 300, taille 135cm (6")? Parce que j'en cherche une un peu chouette et ce serait un challenge pour toi, non :-D?

Cécile a dit…

alix et marc : je ne trouve même plus de prétexte !! je ne veux plus me cacher !

Az : pas de problème ! je peux te coudre un chwal aussi ! et tu essuieras ses sabots avec des chutes de tailleur Chanel !

Emmanuelle a dit…

J'espère pouvoir un jour moi aussi trouver ma passion,mais a lire ce beau message ça me rassure :-)

Tiphaine a dit…

c'est marant, c'est ce que je ressens de plus en plus....le sentiment de ne pas avoir assez de 24h, de ne pas avoir assez de temps pour apprendre, apprendre, et apprendre encore....si je pouvais, je viendrais chez vous juste pour vous regarder, regarder vos mains et apprendre.

Haribote a dit…

Je découvre par l'intermédiaire de "je me souviens de demain" ...et je tombe en admiration ! C'est beau, c'est intelligent, c'est drôle ! Bref j'adOOre ! Voilà qui va faire un lien de plus sur mon ptt blog à moi !!

Aude a dit…

Que dire ? Si ce n'est combien je te comprends....Je n'ai pas hérité d'un aussi beau mannequin mais de la vieille boîte à couture de la grand-mère que j'aimais tant. J'ai longtemps manipulé la collection de boutons et de vieux rubans chargés d'histoire qu'elle contenait. Je sais pourquoi, maintenant, elle est arrivée chez moi...

Az a dit…

Rhôô, merci MA BELLE!
Alors je la veux bien, en liberty enduit avec du biais Capel violet, lol! Au pré ça va dépoter!
Et c'est pas un tailleur Chanel , c'est une robe Agnès b! Mauvaise langue...;-)

Cécile a dit…

emmanuelle : faut suivre son instinct !

Tiphaine : m'est avis que tu m'entendrais plus que tu ne me verrais ! ;)

Haribote : merci pour ce gentil petit mot et bienvenue !!

Aude : j'aurais adoré avoir sa boîte à couture... et ses ciseaux... je ne sais pas où ils sont...

az : tu veux les chaps assorties ?

telle a dit…

Ah ben voilà que je t'amène du monde !

;-)

Je souris mais ton billet m'a émue. T'ai-je déjà dit (oui car je radote) que ma grand-mère maternelle était couturière ? Même si je l'ai rarement vue coudre, j'ai gardé d'elle cette image devant la machine, fabriquant pour nos barbies des tenues de son époque (et que nous ne savions pas apprécier). J'ai hérité de ses boutons, que j'utilise parcimonieusement.

Alors, oui, comme toi, je crois que je suis devenue passionnée...

Merci de tes textes !

AC a dit…

je me retrouve dans tes écrits....
merci

Fanny a dit…

Moi j'ai toujours été multipassionnée et c'est la coexistence de toutes ces passions qui me semble compliquée. Mais j'aime beaucoup ta manière de le dire et de le replacer dans l'histoire personnelle... Et ce mannequin est magnifique.

La copine d'Attila a dit…

Moi aussi, je suis passionnée, moi aussi... comment, les yeux bleus, ça ne compte pas ?

Mikette a dit…

Je partage tout à fait ton propos: longtemps j'ai butiné, découvert des choses, puis d'autres, accumulé du matériel dans une armoire, m'être fait remonté les bretelles pour ce gâchis...mais il ne faut pas renoncer, quand la tête ne sait plus, que le coeur doute, ce sont parfois les mains sur le tissus qui racontent le plus de choses...Aujourd'hui j'ai une passion: le furoshiki (l'art d'emballer dans du tissus), j'aimerais en faire mon métier, et j'espère que le rêve deviendra réalité...
www.fandefuroshiki.com

Anonyme a dit…

Et une passion qui peut s'exercer la nuit sans problème de voisinage, crois moi, c'est un plus!

bh

Elolili a dit…

Merci pour ce texte Colchique...

J'aimerais avoir une passion aussi créative. Celle de la lecture est "malheureusement" chronophage et très solitaire ;-)