Le coton était jauni et ne dépassait qu'un peu de borderies et quelques poussières de monogrammes délicats. Je ne savais ce qui pourrait advenir de ce lot de trois culottes de grand-mère, mais il m'était impossible de laisser si beau linge en terre inconnue. J'étais contente de ma trouvaille, sans pouvoir vraiment en trouver la raison, sans savoir ce que je pourrais bien en faire. Mais peu importait. J'aime le vieux linge et imaginer une dame mettre autant de soin à ses sous-vêtements suffisait à mon plaisir. C'était un peu comme si j'avais sauvé son ouvrage.
Je l'ai rangé dans une boîte qui garde les trésors du même genre, d'anciennes chemises de nuit, des tabliers à petits plis, des taies d'oreiller usées et moult dentelles et monogrammes glanés ça et là... Je les ai dépliées quelquefois, cherchant l'idée qui pourrait redonner vie aux deux initiales finement brodées. J'ai laissé passer l'automne qui ne sied pas à ce joli coton et c'est en me promenant dans la neige que j'ai imaginé mes pieds nus dans les sandales, cherchant à retrouver les sensations du soleil sur ma peau, les bruit sde l'été et la légèreté des robes. Je sais que ce temps reviendra, même s'il faut faire un effort pour se souvenir de ce qui a été, il n'y a pas si longtemps. J'ai imaginé les soirées douces du mois d'août et les quatre ans de ma petite fêtés en Charente, selon son souhait. J'ai rêvé à ses épaules nues et dorées, à ses mèches éclaircies par le soleil et au parfum du grand air sur sa peau. J'ai vu des petits vêtements aériens et tout blancs, délicats et légers. Et j'ai su que le moment était venu de dépasser l'hiver pour préparer les beaux jours.
J'ai ressorti de leur cachette les trois culottes qui avaient appartenu à la même dame et j'ai pensé à mes propres grands-mères, à la stupeur qu'aurait suscité chez elle mon projet. L'une se serait sans doute empressée de me sortir sa réserve de tissus pour que je puisse faire un choix et tailler dans le neuf, choquée sans doute que je veuille convertir des sous-vêtements en tenues pour petite fille. L'autre m'aurait proposé de broder un joli coton immaculé, tentant vainement de me convaincre de tailler dans la vieille toile jaunie pour en faire des chiffons à poussière, comme elle le faisait avec ses draps usés. Et puis elles auraient fini par capituler devant mon entêtement à vouloir leur prouver qu'il y avait bien quelque chose à faire de ces culottes en taille 50...
J'ai d'abord fait tremper le coton dans un mélange savant et la chimie a rendu à la toile sa blancheur d'antan. J'ai repassé chaque pièce, reculant un peu l'instant fatidique du premier coup de ciseaux. Et puis je me suis lancée...
Le premier petit pantacourt est apparu très vite, mais je pensais déjà à ce qui allait suivre, à cette pièce brodée et monogrammée particulièrement fine que je devais mettre en valeur. Il me fallait prendre un peu de temps, au moins celui de poser les morceaux de tissu sur la demoiselle pour qui tout cela était destinée. Je n'avais pas le droit à l'erreur et je crois que cette idée ne faisait qu'attiser ma hâte et mon envie. J'ai repensé à mes grands-mères. L'une m'aurait sans doute démontrer que l'emmanchure serait trop serrée et le monogramme à l'envers. L'autre aurait sans doute observé sans rien dire, me laissant avancer comme je l'entendais, comme elle le faisait quand je voulais crocheter à ses côtés...
J'ai respiré profondément en découpant autour des deux jolies lettres... "VJ". Si j'avais pu, j'aurais envoyé un petit mot aux héritiers pour leur dire que leur aïeule revivait un peu... Ils m'auraient sans doute ri au nez. Qui donc peut bien se préoccuper des culottes de sa grand-mère ? Je me suis retrouvée avec six rectangles et je les ai assemblés, à la manière d'une robe que j'avais faite il y a quelques mois, dans d'autres dimensions et avec un patron qui n'offrait pas grandes surprises. J'ai cousu, trop tard, à la lumière qui fait mal aux yeux. J'ai monté les manches à l'envers et j'ai troué un peu l'empiècement brodé. J'ai tremblé et j'ai ragé contre ma bêtise. Je déteste faire les mêmes erreurs qu'à mes débuts et m'aperçois que l'assurance de piquer sans épingles me jouent encore des tours. Alors, je réapprends la sagesse et le soin, comme une petite fille qui pense pouvoir écrire droit sur une feuille sans lignes... Il n'était pas question que je me couche sans avoir terminé l'ouvrage qui prenait vie doucement mais sûrement. J'avais déjà oublié la forme initiale. Je pensais déjà à l'été, aux petits bras ronds qui dépasseraient des manches et au blanc qui ferait ressortir le hâle de sa peau dorée. Le petit haut assorti au pantalon était là, avec encore quelques petits fils qui dépassaient. J'ai failli vérifier que sa tête passait bien dans l'encolure. J'ai failli la réveiller en tentant les essayages dans son sommeil. J'ai regardé une dernière fois mon travail. Et j'ai pensé à mes grands-mères. Je crois que, l'une comme l'autre, chacune à sa manière, m'aurait donné raison. Peut-être même qu'elles m'auraient donné leurs anciennes culottes, qui sait ?
19 commentaires:
Wouah... Tu es une fée de la couture Cécile : quelle merveille !... C'est pour Mlle A. ?
Dis, tu pourras poster une photo d'elle dans cette magnifique tenue ? Aux beaux jours, bien sûr !!! Il fait si froid aujourd'hui...
Je suis sûre qu'elle sera magnifiée par la peau dorée au soleil !
Bravo ! Et merci pour le texte.
Wwwooouuuuaaaaa c'est magnifique !!
Vraiment très très beau !!
Comme elle va être belle la "babouche" avec son ensemble !!
Je me l'imagine assez bien la peau dorée comme cet été avec ses mèches blondies et son sourire enjôleur....hhuuuuummmmmm cela me ferait presque oublier la grisaille que je vois par mon vélux.....
Craquant!!!
Quelle satisfaction de redonner vie à ces jolis tissus et broderies!
Ma grand mère aussi est Charentaise...P't'être bien qu'elle a aussi des jolies culottes?!
...C'est superbe miss Point du jour! Vivement l'été sur les plages de Charente!
Magnifique post tout en vérité, humilité et poésie. Bravo pour ce joli travail de petites mains, c'est magnifique !
non seulement tu couds mais tu ecris bien.....
quelle chance pour ta biquette et pour ces culottes !!
bon wik colchique (canon, j'me debrouille en rime moi aussi)
annefromhk
tu redonnes une double vie à ces culottes de grand mère ; par tes ouvrages et par tes mots.
Merci pour ce joli moment.
Tiens,nous aussi on va fêter bientôt des 4 ans en Charente et puis à Pâques des 7 ans et cet été des 12 des 10 et des 3 !
La suite! La suite! La suite!
La recette, la recette, la recette.... de mère-grand qui lave plus blanc que blanc!
BoB
C'est adorable !!! Quel talent ... et une nouvelle vie pour ce si beau linge.
Tout comme Bob, si tu le veux bien, je suivrai volontiers tes bons conseils pour récupérer quelques pièces de draps anciens. Douce soirée et gros baisers
Ula up Barbatruc!
La kill qui choque en reine des tâches ça kill et ça choque?
J'aime beaucoup ce que vous faîtes ;)
BoB
merci de ces explications et oui, mille fois, dix mille fois oui, tu as raison d'être si fière. Ce sont là deux vêtements inestimables.
ho que j'aime !
ce que c'est beau cette histoire de la vie. merci...et puis aussi merci d'encourager ainsi pour la couture...
veni vedi vici...je me fais tes yeux pour ma prochaine virée Emmaüs et je m'en vais te trouver des belles et grandes culottes de g-m, des draps ajourés, de la dentelle fine fine..parce que tu le vaus bien et que tes transormations sont juste à tomber...mille mercis encore pour hier ;-)))))
Magnifique...
oh lalala cette petite robe est sublime!!!
dévoilerais tu ton secret pour rendre la blancheur à nos broderies jaunies?
Superbe! Autant le résultat que la transformation... C'est exactement ce que j'aime.
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