Je les avais installées toutes les quatre, bien serrées, sur le panier à ouvrages derrière ma machine. L'une après l'autre, j'avais cherché les traits du visage, l'arrondi des joues et la place de la bouche, le contours des yeux et l'implantation de la chevelure. L'une après l'autre avait rejoint son petit promontoire, nue d'abord, en attendant que je choisisse la tenue qu'il fallait. J'avais pris l'habitude de me sentir observée et, en cédant au machinal, je leur lançais des regards réguliers, allant des yeux bleus aux noisettes en passant par les plus foncés qui, décidément, me rappelaient la frimousse de la petite à laquelle la poupée devait ressembler.
Les enfants avaient fait connaissance. Ils savaient mieux que moi que Violette était cette petite brune habillée de pois sur fond framboise et que Thaïs aurait la petite blonde habillée de bleu pour son anniversaire. Je crois avoir un peu traîné sur la fin des préparatifs. Je ne sentais que trop ce partage entre ce qui était convenu et ce que j'osais m'avouer : je m'étais attachée à ces petites poupées faites de rien ou de pas grand chose, d'un peu de jersey de coton et de pure laine vierge, de beaucoup de temps et autant de doutes. J'avais bien souvent eu peur de cette confiance qu'on m'accordait, moi qui ne vois que les défauts, et j'ai failli reculer face au devoir à accomplir. J'ai retrouvé cette angoisse de la copie à rendre et mon envie de céder à l'appel du chemin de traverse pour faire l'école buissonnière. Et puis, sur ma lancée, j'en ai ajouté deux à la petite, toute petite collection, deux poupées qui deviendront des cadeaux d'anniversaire pour mes propres filles, n'ayant pu résister à la déclaration de désir prononcée par celle qui va faire son entrée dans l'âge de raison, celle qui m'avait entendue frémir et soupirer, douter et remettre dix fois sur le métier cet ouvrage à tisser finement. "Ma pauvre maman, quand je pense que tu n'as même pas le temps de coudre des poupées pour TES filles"... J'ai regardé Églantine et Capucine, les toutes premières petites chiffonnées à qui j'avais donné un semblant d'âme et j'ai vu les progrès de mes mains. Il y a encore des détails à affiner, des techniques à peaufiner, et c'est sans doute cela qui me pousse et m'aspire, ce sentiment d'avoir encore à apprendre avant de pouvoir dire que je sais, cet élan qui cherche à faire naître du beau dans un morceau de rien...
Elles sont parties et ne reviendront pas. L'une après l'autre, je les ai glissées dans une boîte, après les avoir regardées une dernière fois avec un mélange de soulagement et de frisson. J'ai croisé leurs jambes, installé leurs bras et déposer une feuille de soie, un peu de moi, avant de poser le couvercle et de le coller généreusement pour assurer leur sécurité. J'ai empilé les boîtes, les unes au-dessus des autres et je suis partie avec ma toute petite qui avait une dernière fois récité les prénoms, des poupées ou des fillettes qui les découvriraient bientôt. J'ai regardé bêtement le mur derrière ma machine et je l'ai trouvé bien nu. Il me faudra m'habituer, elles ne sont plus là pour m'observer avec leur air doux et bienveillant... Pourvu qu'elles fassent de beaux rêves là où on les attend.
Les enfants avaient fait connaissance. Ils savaient mieux que moi que Violette était cette petite brune habillée de pois sur fond framboise et que Thaïs aurait la petite blonde habillée de bleu pour son anniversaire. Je crois avoir un peu traîné sur la fin des préparatifs. Je ne sentais que trop ce partage entre ce qui était convenu et ce que j'osais m'avouer : je m'étais attachée à ces petites poupées faites de rien ou de pas grand chose, d'un peu de jersey de coton et de pure laine vierge, de beaucoup de temps et autant de doutes. J'avais bien souvent eu peur de cette confiance qu'on m'accordait, moi qui ne vois que les défauts, et j'ai failli reculer face au devoir à accomplir. J'ai retrouvé cette angoisse de la copie à rendre et mon envie de céder à l'appel du chemin de traverse pour faire l'école buissonnière. Et puis, sur ma lancée, j'en ai ajouté deux à la petite, toute petite collection, deux poupées qui deviendront des cadeaux d'anniversaire pour mes propres filles, n'ayant pu résister à la déclaration de désir prononcée par celle qui va faire son entrée dans l'âge de raison, celle qui m'avait entendue frémir et soupirer, douter et remettre dix fois sur le métier cet ouvrage à tisser finement. "Ma pauvre maman, quand je pense que tu n'as même pas le temps de coudre des poupées pour TES filles"... J'ai regardé Églantine et Capucine, les toutes premières petites chiffonnées à qui j'avais donné un semblant d'âme et j'ai vu les progrès de mes mains. Il y a encore des détails à affiner, des techniques à peaufiner, et c'est sans doute cela qui me pousse et m'aspire, ce sentiment d'avoir encore à apprendre avant de pouvoir dire que je sais, cet élan qui cherche à faire naître du beau dans un morceau de rien...
Elles sont parties et ne reviendront pas. L'une après l'autre, je les ai glissées dans une boîte, après les avoir regardées une dernière fois avec un mélange de soulagement et de frisson. J'ai croisé leurs jambes, installé leurs bras et déposer une feuille de soie, un peu de moi, avant de poser le couvercle et de le coller généreusement pour assurer leur sécurité. J'ai empilé les boîtes, les unes au-dessus des autres et je suis partie avec ma toute petite qui avait une dernière fois récité les prénoms, des poupées ou des fillettes qui les découvriraient bientôt. J'ai regardé bêtement le mur derrière ma machine et je l'ai trouvé bien nu. Il me faudra m'habituer, elles ne sont plus là pour m'observer avec leur air doux et bienveillant... Pourvu qu'elles fassent de beaux rêves là où on les attend.