Elle avait un bracelet pour piquer ses aiguilles et un mètre-ruban que j'aimais enrouler bien serré sur lui-même. Elle avait des boîtes de Quality Street pleines de boutons différents que je m'amusais à classer. Elle avait des cartons de tissus bien pliés, gardés comme des projets à venir. Elle avait de grandes règles en bois avec un bord en métal et des craies de plusieurs couleurs. J'aimais surtout la blanche ; j'y laissais parfois mon doigt griffer la surface en cachette. Elle avait de nombreux dés qu'elle n'utilisait jamais et des fils de toutes les teintes...
Ma grand-mère était couturière. Elle n'aimait pas les rayures qui n'étaient pas raccord, ni les coutures pas droites. Elle retournait toujours l'endroit d'un ouvrage pour contrôler l'envers, comme le signe discret d'une perfection à atteindre. Elle était sèche et exigeante. Jamais je n'ai voulu apprendre ses gestes parce que mes mains tremblaient à la simple image de son regard posé sur moi. Jamais je n'aurais osé lui montrer quoi que ce fût, vacillant à l'idée qu'elle émette une critique, moi qui n'attendais que des encouragements. J'ai bien souvent rêvé de poser mon pied sur la pédale de sa machine, juste pour le plaisir de la faire ronronner moi-même et pour avoir la joie de laisser sous mes mains glisser le tissu choisi pour mon premier ouvrage. Je l'ai observée pendant des heures, jusque dans sa façon de poser les épingles en faisant ressortir la pointe par-dessus l'ongle sans jamais se piquer, de placer le tissu autour du doigt pour faire les points réguliers des ourlets, de couper avec ses dents le fil au plus près du dernier noeud qui retient le bouton... J'ai entendu des mots qui ne m'évoquaient rien ; Liberty et piqué, mousseline et lin, taffetas et tweed, drap de laine et soie sauvage. J'éprouvais ce vertige impuissant qui me poussait à croire que jamais je ne saurais faire la différence. Elle a cousu mes robes et mes jupons, parce qu'elle estimait qu'il fallait en porter pour une meilleure tenue ou quand les tissus étaient trop transparents. Elle a cousu des capes, des sacs et des poupées grandes comme moi qu'elle habillait avec les chutes de ma garde-robe...
Sans le savoir, mes mains ont appris d'elle ce que mes yeux ont observé en silence, avec cette peur de ne jamais savoir faire ou de ne pas faire assez bien. Il a fallu que le hasard m'offre par bonheur une petite fille pour faire mes premiers pas sur cette route qu'elle avait ouverte sans le savoir. Au commencement, je ne sortais ma machine que lorsque j'en avais envie ou que je devais terminer un petit vêtement commencé en tremblant. Les coups de ciseaux résonnaient fort dans ma peur de me tromper ou de mal faire. Et puis, au fil du temps, le pied a appuyé plus fort sur la pédale, les points se sont enchaînés plus vite, les gestes sont devenus plus sûrs... Désormais, la machine a une table pour elle seule, tout près des tiroirs de tissus et des boîtes à trésors que les enfants aiment explorer ; des boîtes de biscuits ou de bonbons, pour les rubans et les boutons... Ils entendent parler de biais, parementures et autres croquets. Les garçons savent enfiler une aiguille et recoudre un bouton. Les filles passent commande en passant en revue les tissus de la réserve. Tous les jours, le ronronnement accompagne un moment de leur vie...
Noël approche et l'envie d'offrir un petit cadeau à tous ceux qui ont une place dans nos jours semble s'imposer. Il aurait été plus facile d'acheter une boîte de chocolats, mais Ma demoiselle avait ce désir d'apporter à sa maîtresse une trousse en tissu comme la sienne "tu sais, maman, la maîtresse remarque toujours que c'est toi qui as cousu... elle a dit qu'elle aimerait bien la même trousse". Alors, plutôt que de coudre en solitaire, je leur ai proposé de s'associer à leur propre projet. Ils ont mesuré avec mon grand réglet en métal et tracé avec mon gros crayon rouge qu'il fallait tailler. Ils ont coupé et arrondi les angles, épinglé sans se piquer. Et puis, chacun son tour, ils sont venus s'asseoir sur mes genoux pour apprendre à guider le tissu, à abaisser le pied de biche près du bord de l'ouvrage. Leur pied droit posé sur le mien, ils sont senti les différences de rythme et la force délicate à mettre dans l'appui. Ils ont fait des allers-retours et appris l'endroit et l'envers en découvrant la magie du retournement qui cache les coutures. Ils étaient fiers tous les deux, pas même rivaux, juste apprentis joyeux de gestes à acquérir, pas à pas, mettant enfin des images précises sur des mouvements observés et des bruits maintes fois entendus. Les trousses ont été vite cousues. Il a été décidé que la maîtresse de la demoiselle aurait des boutons en forme de coeur. Un objet devient cadeau quand il est emballé, alors c'est dans un papier de soie bleue recouverte d'un papier transparent qui crisse que j'ai caché leurs trésors, donnant aux paquets une forme de bonbon... Ils partiront demain matin, dans le froid d'un hiver qui approche, tenant dans leurs mains ce qu'elles auront fait elles-mêmes et dont elles se souviendront longtemps, parce que les doigts ont une mémoire qu'on ne soupçonne pas.
42 commentaires:
mmmmm....vous me faites réfléchir la parce que mes fistons, voila bien longtemps qu'ils me demandent à essayer...je ne savais comment, merci pour cette jolie idée...
C'est formidable d'avoir gardé ces souvenirs... Les tiens avec cette grand-mère couturière qui traîne dans tes mains de fée, les leurs qu'ils vont partager.
C'est difficile d'apprendre de quelqu'un... ce que ta grand-mère n'aura pas fait, tu as eu la justesse et la patience de le commencer avec eux.
C'est juste merveilleux...
...
Et c'est un HSE!!!
Kisses
Pétard, ça y est, t'as un fan club des Tiphaine
Trop de la balle!!!
Mais t'as pas mis de lien vers poppy, c'est pas normal!!!
Les gens, y vont trop kiffer ce prénom en le voyant écrit 10 fois:
Tiphaine, c'est juste magique comme prénom...
Euh, Tiphaine, t'as fait comment toi pour avoir des gars alors que moi je n'ai que des filles, c'est dég!
Kisses
Tiphaine
Déka? Ce soir, c'est chez Céc' qu'on fait la pause café, y'a trop de calories chez toi!
Papi, tu viens?
Kissses
Tiphaine
(ça c'est pour arriver à 10 comm's de ce trop joli prénom, le plus beau du monde, éh ouais, hein Tiphaine?)
Colch', tu viens?
C'est pas ma faute à moi, c'est Tiphaine qui a commencé... Faut dire avec un si beau prénom, elle m'a juste mis le feu, j'étais pourtant sage, demande au Slave...
Tiphaine, t'as un blog? Les gens t'appellent Tiph'? T'aimes bien qu'on t'appelle Tiph'? Moi pas, sauf quand c'est Céc'...
Ouais, je suis là !! fofolle !
On m'appelle pas Céc' !
d'ailleurs on m'appelle pas !
Pétard Céc', t'as des trucs à me donner, genre des recettes poru avori des petits Tiphaine (prénom masculin porté par un méchant de Victor Hugo...)??? BALANCE ta sauce!!!!
Le Slave est déjà debout en furie devant son écran...
Euh, je vais peut-être passer au privé moi...
Tiph', j'aime bien, surtout sur les enseignes des coiffeurs ! j'ai toujours aimé les jeux de mots des coiffeurs ! "infini-tif" par exemple ! trop bon !
Tu veux des Tiphains ?? tu vas en avoir !! préparez-vous les gars !!
Tiphaine, je te dis, illéttrée!!!!
Revois tes classiques, le héros, il s'appelle Angus!!!
Alors j'attends la recette moi, et le Slave est déjà en train de faire le lit!!!
http://www.bacdefrancais.net/aigle.php
Tiens pour Eloi...
http://www.priceminister.com/offer/buy/54955455/Tournier-Michel-Angus-Livre.html
et pour Fantin
Désolée, rien pour les filles, c'est trop viril tu comprends?
Kisses... je vais faire de la couture...
Tu sais quoi?
Des petits sachet spour mettre des petits sablés... je sais pas où j'ai vu ça, je voiulais te piquer une idée de sachet ici...
J'ai pas résister à ton texte, à ta grand-mère, à ta patience... Et puis Tipaine m'a cherchée...
Le Slave, il pense qu'il faut que je m'excuse de ce comprotement pas tout à fait à la hauteur et que je présnet ecela publiquement. PARDON LES GENS, je m'en vais copier honteusement des trucs mais personne n'en fera un foin, hein?
Kisses
;-))))))))))))))))))))
Wahouuuuuuuuuu!!!!!!!!!
Dans l'genre on t'appelle pas......... on te siffle?
Pour la pédago Respect
Au fait elles sont toutes beurdines tes copines?
@pluche
Le Dric
hé, ça veut dire quoi beurdine?
Moi, je parle pas le patois...J'ai fait mes sachets... j'ai le dos en bouillie mais je suis contente... Y'a plus qu'à les remplir et puis trouver un beau ruban...
Kisses je vais te lire tiens...
Le dric : (ben oui, je réponds en priorité aux hommes... c'est plus vite fait !) : oui, elles sont toutes bien barrées, presque autant que moi... c'est même comme ça que je les sélectionne ! sinon, ben, je m'ennuie comme dans un thé mondain où qu'y aurait des beaux fauteuils que tu peux pas mettre les pieds dessus et des macarons dont t'as entendu la recette 15 fois...
Tiphaine : t'as suivi les conseils de Tata JC ?
Tiphaine : (la première !!) il faut essayer avec les garçons, tant que vous pouvez les mettre sur vos genoux !! faut faire vite, ça pousse vite ces bêtes-là !!
élolili : ;)
Ben voilà, j'ai répondu à tout le monde !! A demain !
j'aimerais raconter aussi joliment mes souvenirs de ma grand-mere et sa singer...
bonne initiative qui donne des idees en tt cas !
bravo aux jeunes couturiers
annefromhk
Mais dis, on aurait pas la même grand mère???
Ah non, pas tout à fait, la mienne m'a appris à coudre quand j'ai eu 7ans .
C'étaient des moments tellement magiques que j'ai eu envie de les offrir à mon tour ... Pingouinette a cousu son premier vêtement pour offrir à noel. Elle est trop trop fière !
Vos photos sont belles et riches de sens. Vous avez à coeur de transmettre le don reçu. Bravo! Chez nous, pas de grand-mère couturière... mais un goût prononcé pour la couture qui se transmet de mère en fille. Mon aînée, 11 ans, a accès librement à la machine à coudre, et elle me surprend souvent... Je n'ai pas encore songé à initier mes garçons. C'est peut-être un tort finalement. Votre post me donne à réfléchir... (En tous cas, ils savent déjà broder!)
t'as entre tes mains les futurs K Lagerfiel toi ;-) mais quelle patience ;*))) ils ont dû être tellement contents !!!
Un très beau texte, j'aurais bien aimé prendre un cours moi aussi...Elles sont bavardes les Tiphaine!!! (ma soeur s'apelle Tiphenn!)
Logorrhéique la Tiphaine ! pas étonnant, c'est le prénom qui a le plus de variantes orthographiques possibles !(d'où de légers troubles de la personnalité,hmmm ?...)
Ici aussi petites initiations à la couture, pour le plaisir d'offrir du fait-du-fond-du coeur !
Blanche.
J'ai des souvenirs identique, un grand ma qui transmet son asvoir , un maman qui faite de même età présent c'est mon tour.
Très chouettes réalisations.
Joli............c'est comme ça que naissent les vocations......
c'est beau quand tu racontes...
c'est la première fois que je viens et je lis avec ravissement ton texte. J'ai appris la couture seule, pas de grand-mères couturières, ma mère ne l'était pas non plus. J'aurais aimé apprendre mon savoir à mes enfants mais j'ai deux fils. J'espère avoir un jour des petites filles et pouvoir leur transmettre mon amour des tissus, la joie de prendre une cotonnade et d'en imaginer toutes les possibilités. Et tu m'as rappellé que je n'avais pas fait de cadeau pour la maitresse de mon fils :))
Oh c'est génial! Ils ont de la chance ces enfants-là! Tu te rends compte, dans une classe, la majorité des enfants n'a jamais vu personne coudre...
Marie a 6 ans et m'a dit l'autre jour que "les cadeaux, c'est mieux quand on les fabrique soi-même". Elle va avoir une petite machine à coudre pour son anniversaire...
On signale un atelier clandestin de couture dans le sud de Paris, la DDASS enquête!!
Les talents de ma grand-mère s'arrêtaient au point mousse et la transmission familiale m'a tout juste permis de tricoter un trèèèès seyant pull (en point mousse, donc) à mon kiki quand j'avais 8 ans. Ma mère jette toute chaussette trouée faute de savoir les repriser ...mais je recouds les boutons de mes manteaux!
J'adore tes petits lutins de père Noël! et moi aussi, tu m'apprendrais pas à coudre, par hasard ? (un p'tit stage de couture, tu ferais pas ça ?)
C'est qui Blanche, je sens que je vais me la faire!!!!
Sans rancune, Blanche!
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