Les dates arrivent toujours trop vite sur mon calendrier. Je manque toujours la chandeleur, l'Epiphanie, ces petits rendez-vous qui se transforment en fête pour les mères de famille qui n'ont de cesse que de perpétuer les traditions en faisant sauter les crêpes avec un Louis d'Or dans le creux de la main et qui préparent avec leurs petits la frangipane de la galette des rois. Même pour les fêtes traditionnelles, je suis en retard. Je m'en veux chaque année un peu plus parce que je me souviens de la résolution de naguère mais c'est sans effet... Il en va de même pour les carnavals qui viennent faire défiler les enfants dans les cours des écoles et qui me laissent avec des idées qui valsent avec les remords, des idées de costumes, des regrets de ne pas avoir su anticiper, des promesses pour le prochain Mardi Gras ou tout autre bal non masqué qui fait rêver les petites filles adoptant la démarche d'une princesse montant les escaliers magistraux, les deux mains tenant les pans un peu lourds du taffetas ou de la soie sauvage, savourant le crissement des étoffes qui se rencontrent, conscientes du port altier qui met les épaules en valeur, ralentissant leurs gestes pour augmenter leur grâce...
Il y a quelques années, en accompagnant Fantin devenu mousquetaire, j'avais croisé deux petites marquises aux robes magnifiques, pas seulement heureuses de venir à l'école ainsi parées mais aussi très fières de porter enfin la tenue cousue pour l'occasion par leurs mères avec un soin qui ne pouvait échapper à personne. Ondine était toute petite alors et j'avais eu l'impression qu'il me restait encore longtemps avant de pouvoir songer à cet événement fêté dignement à l'école. Je la voyais avec sa longue robe prête à tourner pour faire gonfler l'étoffe, gravissant les marches en ciment comme s'il s'était agi de marbre de Carrare, les cheveux relevés en chignon pour dégager sa nuque, un de mes colliers clinquants autour de son petit cou délicat...
Les années ont passé sans que je ne m'en aperçoive. C'est l'an dernier que ma promesse silencieuse est revenue à ma mémoire et j'avais eu mal d'être une fois encore en retard à ce rendez-vous que pour rien au monde je ne voulais manquer. Elle s'était amusée à devenir clown, elle qui porte si bien la toilette et le chignon mais j'ai pensé à ce morceau de tissu bleu lavande qui attendait qu'elle grandisse pour se transformer en robe de bal. Cette année, c'est le hasard qui m'a rappelé que le Carême ne va pas tarder à venir et qu'à mi-chemin les enfants seront conviés à revêtir d'autres peaux que la leur. J'ai parcouru ce livre qu'une amie m'a prêté et je suis tombée en arrêt devant un modèle de robe qui ressemblait à ma promesse. Je n'ai pas voulu atermoyer, j'avais trop peur d'être pressée par le temps et de devoir sortir de la caisse de déguisements un costume qui n'aurait pas été taillé à ses mesures. J'ai sorti le coupon de fausse soie sauvage qui murmure quand on le caresse et cet épais coton doux, parfait pour être jupon. J'ai apporté quelques changements au modèle initial, ajouté un laçage sur le bustier et brodé avec ma nouvelle machine des centaines de petites fleurs blanches et bleues. Ondine est venue voir chaque nouvelle étape et s'est pliée de bonne grâce aux essayages successifs qui ont transformé sa robe en seconde peau. J'ai soigné les détails en songeant aux couturières de la cour qui devait compter chaque point et oeuvrer sans machine, répondre aux attentes et accepter les caprices de ses dames. Ma cliente était patiente et heureuse à la fois, s'imaginant déjà tourner pour faire gonfler les pans de sa robe entièrement doublée de ce jupon infroissable. Un matin, au réveil, elle a trouvé sa robe sur un cintre, enfin terminée. Elle a regardé chaque détail et a instantanément oublié qu'elle avait rêvé d'une robe immaculée. En la voyant danser avec, tenir les pans de ses doigts délicats et écouter le frottement subtil des étoffes l'une contre l'autre, j'ai réalisé que j'ignorais la date du carnaval de la mi-Carême, ni s'il y en aurait un... Peu importe, j'ai tenu ma promesse, avec de l'avance, pour rompre mes mauvaises habitudes.
14 commentaires:
Joli costume! Bravo!!!
Ondine est absolument magnifique dans cette robe cousue avec tant d'amour! Ton billet a ému mon coeur de maman, j'espère que j'aurais aussi l'occasion de faire briller les yeux de mes filles, comme tu l'as fait avec Ondine.
bises!
ça valait le coup d'attendre non ?
c'est magnifique!!
Violette : merci !!
sous le pont M : la demoiselle est heureuse ! toi, il te faudra une machine qui bégaie pour contenter les deux ! ;)
vally : pas trop quand même... à 14 ans, je ne suis pas certaine qu'elle appréciera ! ;)
Wouah...
Respects Cécile !!!
Tu peux être sûre qu'elle t'en parlera longtemps de cette robe... des années après l'avoir portée... ça ne s'oublie pas un cadeau pareil quand on est une petite fille...
Moi aussi, je veux défiler dans une si belle robe ! j'avoue que je n'ai pas vraiment eu ça quand j'étais petite et que j'en rêve encore !
Faudra que je me lâche pour mes minis !
Elolili : je ne sais si cette robe aura une place particulière... je crois qu'elle s'est habituée à me voir coudre pour elle et ne s'étonne plus de ce qui fait son ordinaire...
Maman Champignon : t'as intérêt à te lâcher avec tes minis ! et les deux !!! commence par du trois ans, c'est plus vite fait !!
Certes, Cécile, elle a "l'habitude" que tu couses pour elle. Mais cette robe est particulière, non ?
Et Miss A., elle n'a pas immédiatement fondu et demandé , elle aussi, une robe d'"Ami Carême" ?
Belle pièce à ne surtout pas oublier dans les cartons !!!! ;D
Ahhhh, je te le redis : ce laçage est d'une délicatesse...
quelle magnifique princesse...
c'est genial le ruban dans le dos....j'en ai une (de robe de princesse) sous le pied de ma mac, je vais voir si je trouve un tuto pour faire la meme chose....
ce n'est pas une robe de princesse, c'est juste LA robe de ta princesse, il lui fallait bien ça et tu as été plus qu'à la hauteur, BRAVO Cécile, aucun détail n'a été oublié, c'est beau.
Sublime robe de princesse
Tes mots ajoutent au bonheur de passer ici
PS j'ai sorti ma MAC ... pour faire un cheche avec le tissu à étoiles pour une amie de Sixtine. !!!!!
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