J'aurais aimé lui offrir pour ses trois ans, y glisser son Eglantine dans sa petite chemise de nuit à fleurs, sous un douillet édredon, à peine cachée par le voile de coton retombant de la flèche. Mais celui que j'avais repéré et que je surveillais sur la page des enchères à été mystérieusement retiré de la vente avant que j'aie pu lancer mon offre avec l'espoir de faire de ce berceau un havre pour poupée. Les semaines ont passé sans objet similaire, juste quelques Moïses trop semblables à celui de sa soeur, quelques bercelonnettes qui ne me donnaient pas envie d'y déposer celle qu'elle appelle "sa petite". Et puis il est arrivé un matin, plein de cette promesse d'être nôtre. Je l'ai surveillé de près, agrandissant les photos qui me permettaient de faire sa connaissance, cherchant les petits défauts, vérifiant que c'était vraiment lui que je voulais offrir. L'attente a été longue, faite parfois de nuits bousculées par la raison qui cherchait une limite à mon désir, une limite qui se convertit en euros, qui tente d'assurer l'acquis sans frôler la folie. J'ai tremblé souvent en voyant le prix flamber à grands sauts, faisant défiler les dizaines et puis se calmer plusieurs jours durant sur un montant dont je ne savais plus quoi penser, parce que seul comptait mon espoir de dépasser la limité inconnue de mon adversaire invisible. Tiraillée entre la certitude de ne pas oublier l'heure de la fin de la vente et la peur d'être empêchée d'être là au moment où il me faudrait agir, j'ai croisé les doigts et fixé définitivement ma limite avec la résolution de ne plus en changer. C'est en bonne compagnie, dans une jolie maison, que tout s'est joué, que le marteau virtuel s'est abattu sur mon enchère, faisant du berceau tant regardé de loin le projet de menus travaux de couture et de restauration.
Le gros carton est arrivé un matin. Un morceau de pied en fer forgé dépassait par un trou malheureux dû au transport. J'ai guetté un moment de solitude à l'heure du bain pour l'ouvrir et le regarder, superposant ce que j'avais vu sur les photos et ce que je tenais enfin entre mes mains. Il faudrait changer la cordelette de la nacelle et apprendre à la tisser de la même façon. Il faudrait coudre un matelas, la parure et un voile à suspendre sur la flèche. Il faudrait aussi peindre le fer forgé en parfait état, visiblement encore brut. Peut-être n'a-t-il jamais été peint, peut-être n'a-t-il jamais bercé ? Sa nouvelle vie commence chez nous, dans la chambre d'une petite fille qui le recevra pour son entrée à l'école maternelle. Il retrouvera les mouvements de berceuse qu'il a peut-être connus jadis ou naguère, sous les mains d'autres enfants qui ne sont plus, des enfants nés sans doute avant ma propre grand-mère, dans une famille aisée, probablement dans une grande et belle maison où flottaient de longues robes avec de la dentelles et des étoffes précieuses. Il a peut-être bercé de délicates poupées en porcelaine, si fragiles et si rares. J'aurais aimé voir sa première parure et tous ses détails pour tenter de lui rendre sa première tenue d'antan. J'ai coupé le reste d'un drap usé monogrammé pour coudre un édredon et j'ai ajouté une chute de broderie anglaise ancienne un peu jaunie. J'ai attendu le sommeil de la demoiselle pour, chaque soir, sortir les pièces en fer, ponçant et peignant en cachette les volutes du pied et la flèche vrillée, avec le reste de peinture blanche légèrement teintée de parme qui avait servi à la banquette et au bureau de la chambre rose. J'ai tissé le cordage de la nacelle en prenant modèle sur celui d'origine devenu marron ; en desserrant les noeuds pour mieux les imiter, on pouvait retrouver la teinte ivoire des premiers jours. J'ai hésité longuement avant de me décider pour un vieux drap ajouré et un voile de coton blanc, un peu de broderie anglaise et un fin ruban de satin mauve pour rappeler la nouvelle teinte du fer forgé. Maintes fois, j'ai jeté un grand morceau de tissu sur mon ouvrage pour le cacher. Maintes fois aussi, j'ai sorti le berceau de son carton pour ses essayages, glissant parfois la poupée sous le petit édredon pour rêver du jour où la mise en scène deviendrait réalité. J'ai regardé la photo qui m'avait séduite, souvenir du temps pas si éloigné où il n'était pas encore à nous, encore nu et inconnu, et j'ai eu la joie de voir que sa nouvelle toilette le rendait chaleureux. Il reste quelques jours pour, peut-être coudre une jolie chemise de nuit toute blanche pour la poupée et sa petite maman, les mêmes quelques jours qui nous séparent de la rentrée, la toute première d'une longue, bien longue série...
Le gros carton est arrivé un matin. Un morceau de pied en fer forgé dépassait par un trou malheureux dû au transport. J'ai guetté un moment de solitude à l'heure du bain pour l'ouvrir et le regarder, superposant ce que j'avais vu sur les photos et ce que je tenais enfin entre mes mains. Il faudrait changer la cordelette de la nacelle et apprendre à la tisser de la même façon. Il faudrait coudre un matelas, la parure et un voile à suspendre sur la flèche. Il faudrait aussi peindre le fer forgé en parfait état, visiblement encore brut. Peut-être n'a-t-il jamais été peint, peut-être n'a-t-il jamais bercé ? Sa nouvelle vie commence chez nous, dans la chambre d'une petite fille qui le recevra pour son entrée à l'école maternelle. Il retrouvera les mouvements de berceuse qu'il a peut-être connus jadis ou naguère, sous les mains d'autres enfants qui ne sont plus, des enfants nés sans doute avant ma propre grand-mère, dans une famille aisée, probablement dans une grande et belle maison où flottaient de longues robes avec de la dentelles et des étoffes précieuses. Il a peut-être bercé de délicates poupées en porcelaine, si fragiles et si rares. J'aurais aimé voir sa première parure et tous ses détails pour tenter de lui rendre sa première tenue d'antan. J'ai coupé le reste d'un drap usé monogrammé pour coudre un édredon et j'ai ajouté une chute de broderie anglaise ancienne un peu jaunie. J'ai attendu le sommeil de la demoiselle pour, chaque soir, sortir les pièces en fer, ponçant et peignant en cachette les volutes du pied et la flèche vrillée, avec le reste de peinture blanche légèrement teintée de parme qui avait servi à la banquette et au bureau de la chambre rose. J'ai tissé le cordage de la nacelle en prenant modèle sur celui d'origine devenu marron ; en desserrant les noeuds pour mieux les imiter, on pouvait retrouver la teinte ivoire des premiers jours. J'ai hésité longuement avant de me décider pour un vieux drap ajouré et un voile de coton blanc, un peu de broderie anglaise et un fin ruban de satin mauve pour rappeler la nouvelle teinte du fer forgé. Maintes fois, j'ai jeté un grand morceau de tissu sur mon ouvrage pour le cacher. Maintes fois aussi, j'ai sorti le berceau de son carton pour ses essayages, glissant parfois la poupée sous le petit édredon pour rêver du jour où la mise en scène deviendrait réalité. J'ai regardé la photo qui m'avait séduite, souvenir du temps pas si éloigné où il n'était pas encore à nous, encore nu et inconnu, et j'ai eu la joie de voir que sa nouvelle toilette le rendait chaleureux. Il reste quelques jours pour, peut-être coudre une jolie chemise de nuit toute blanche pour la poupée et sa petite maman, les mêmes quelques jours qui nous séparent de la rentrée, la toute première d'une longue, bien longue série...