mercredi 5 mai 2010

Chirurgie des tissus mous




Les chambres portaient encore les traces du changement de saisons. Il y avait ça et là, des vêtements à ranger, à essayer, à recoudre ou à donner. J'aurais pu, peut-être dû voir l'urgence dans ce désordre qui s'offrait à moi à chaque traversée des chambres des enfants, mais j'avais surtout remarqué une présence qui prenait des allures de rappel à l'ordre, juste à côté de ma boîte à couture. Caramel, l'ours d'Ondine, était là, le ventre béant, disant ces années de bons et loyaux services, et tous ces tendres sévices, aussi, avec un petit doigt enroulé autour de son cou ou creusant machinalement dans ses tissus, agrandissant sans le vouloir l'usure du temps sur les fibres. Elle avait choisi son tissu, le blanc avec les étoiles noires, celui dans lequel je dois lui faire un petit sac et un foulard rien que pour elle. Elle l'imaginait déjà avec sa nouvelle tenue et ses manches blanches, s'endormant sans craindre de l'éventrer davantage et se réveiller sans avoir à remettre les morceaux de bourre évadées du corps fatigué. Tous les jours depuis plusieurs semaines, elle était rentrée de l'école en me demandant si j'avais eu le temps de le recoudre. Je m'étais contentée de quelques sutures dans le tissu usé jusqu'à la trame, sutures qui n'avaient permis qu'un petit sursis bien fragile... Ce matin, j'ai fermé les yeux sur les impératifs, jugeant finalement l'urgence qui m'attendait tout près de mes bobines et ma boîte à boutons. Alors j'ai oublié ce que je me serais forcé à faire à l'autre bout du couloir. J'ai coupé le tissu à étoiles, retaillé un peu le corps fatigué de monsieur doudou, cousu sa nouvelle combinaison, tout en songeant à la surprise qu'aurait la demoiselle en découvrant qu'enfin j'avais entendu ses suppliques, qu'enfin j'avais pris le temps de redonner à son petit compagnon un nouvel habit céleste qui ajouterait sans doute quelques étoiles au ciel de ses rêveries... J'ai repensé à l'allure originelle de cet ours qui a désormais sept ans, lui aussi. Il n'a de ses origines que ce qui arrondit son ventre et donne de la tenue à sa tête, mais il reste lui, Caramel, le compagnon de toujours, le grand consolateur, le petit pont entre l'enfance et le plus tard, mâchouillé de toutes parts, s'imprégnant malgré lui des parfums de la vie, perdu cent fois et toujours retrouvé avec un soulagement sans nom. Je n'avais pas la crainte que sa petite maîtresse soit déçue ou désorientée. Je savais par expérience qu'elle saurait voir dans ce changement, non pas une métamorphose, mais bien une résurrection...

2 commentaires:

Christiane a dit…

Très jolie histoire du temps qui passe, pour nous humains, petits et grands, et finalement, pour les objets qui nous accompagnent ici-bas

la marmotte a dit…

Bravo pour ce ravalement de façade d'un ours qui n'aura sûrement pas perdu son âme en chemin.
Deux réflexions que je me suis faites en lisant ce récit:
La première, c'est que j'ai la fâcheuse tendance de balancer un peu trop vite des choses usées ou abîmées. Je brandis souvent comme excuse mon incompétence manuelle. Et si c'était seulement la flemme de me mettre à l'ouvrage ?
Et la deuxième, c'est que rien qu'en fermant les yeux, des souvenirs très nets et très lointains associés à mon doudou remontent à la surface. Ca revigore comme un rail de coke et ça me donnerait presque envie de me faire un petit shoot. De doudou.