J'avais repoussé trop longtemps ce moment, me trouvant toujours une bonne raison, pas forcément valable, mais qui pouvait expliquer que je laisse les jours passer sur ma décision. Les sacs étaient prêts depuis plusieurs mois, presque deux ans pour certains. Je savais, sans les ouvrir, ce que mes mains déplieraient avec nostalgie, tous ces petits vêtements qui me raconteraient ce qui est un peu mon histoire, le joli chapitre de ma fille, ma petite, mon ultime. J'avais fini par me convaincre que ce n'était après tout que des piles d'étoffe, que les souvenirs ne pouvaient pas y être plus profondément ancrés que dans les mots, les photos ou même les images que je gardais d'elle, de ces mois bercés par notre vie en écharpe et tous ces instants de proximité. L'idée que d'autres bébés se glissent dans sa garde-robe m'était désormais plutôt douce, me permettant de me convaincre que la vie continuait, que d'autres mères s'attendriraient devant les petits poignets serrés , devant le petit minois dépassant de la cagoule rose, devant les galipettes improvisées dans une salopette qui permet toutes les audaces, devant les robes que l'on garde pour les grandes occasions ou juste le dimanche, quand les envies d'élégance dépassent un peu l'aisance... J'ai procédé par étapes, sortant d'abord les sacs, vérifiant l'état de tout ce qui était resté soigneusement plié. J'ai caressé et déplié pour apprécier la petitesse des vêtements premier âge, mesurant les mois passés, ce temps qui nous avait enlevé peu à peu notre toute petite qui joue désormais dans la cour des presque grandes. J'avais dû faire deux revers à ce petit gilet prune la première fois qu'elle l'a porté, parce qu'il était trop grand ou qu'elle était trop petite. J'avais déplacé les boutons de ce chemisier pour qu'il serre mieux son poignet et pour que sa main fine de se coince pas dans la manche. Ce manteau-là avait accompagné son deuxième automne et la cagoule son premier hiver... C'était comme un album de photos dont je tournais les pages, remontant le temps, revivant le début de son histoire. J'ai respiré quelques-unes de ses guimpes, cherchant un soupçon de parfum de mon lait qui aurait pu s'imprégner dans les fibres. Mais la lessive avait parfaitement fait son oeuvre et il ne restait que l'odeur du placard, un mélange de temps suspendu et d'inutilité... J'ai repassé chacun des vêtements avec cette conscience que je le faisais pour la dernière fois. J'ai retrouvé ce plaisir inouï de laisser le fer glisser sur ces infimes morceaux de tissu. Je commençais toujours par son linge, trouvant un plaisir infini à faire de jolies piles de ce linge délicat que je voulais impeccable. C'était si vite lissé et plié... J'ai vérifié qu'il ne manquait aucun bouton, qu'aucune tache ne se cachait. J'ai pensé à tous ces gens qui nous avaient gâtés aussi en la gâtant d'abord, des amis qu'on avait perdus de vue, d'autres qui étaient devenus plus proches, des voisins qui avaient vieilli et de simples connaissances qui avaient voulu prendre place tout près de notre bonheur. Il y avait beaucoup de rose, cette couleur dont je ne suis toujours pas lassée, celle qui marquait l'ère commencée après la naissance de deux garçons. De tout ce que j'étalais pour prendre des photos, il n'était pas un seul vêtement de sa soeur, hormis cette petite robe à smocks que j'ai failli garder en pensant que peut-être, un jour, mes filles auraient des filles... Mais je sais la ronde des époques et de la mode qui ne dure qu'une saison. J'ai bien enlevé les faux-plis, lissé les liens pour le joli noeud du dos et le col brodé. Elle avait encore une vie devant elle, dans une autre maison où on la ferait tourner comme elle l'avait connu ici, donnant aux demoiselles l'impression légère d'être des princesses juste en voyant le tissu froncé gonfler par l'élan... J'avais imaginé que je serais triste et que ce serait difficile. Il n'en était rien. Presque rien. Un peu de cette nostalgie qui sied à la saison, celle des feuilles qui tombent et des pages qui se tournent. J'avais fini quand elle s'est réveillée, elle ma petite devenue grande, la toujours ultime qui pointe les années qui s'en vont, celles de l'enfance et des éclats de rire. Les photos étaient prêtes à être envoyées pour la mise en vente aux enchères. J'ai ouvert la grande valise qui a trouvé refuge chez nous par le plus grand des hasards. Pour quelque temps encore, quelques jours seulement, elle sera le dernier refuge de ces vêtements qui vont poursuivre leur vie ailleurs, portant en secret une foule de souvenirs...
22 commentaires:
Je sais que j'y arriverai pas...tu veux pas le faire pour moi??? Dans la foulée...mmm?? Rho! T'es vache ma Poule!!! ;-)
Excellent ! dommage que je n'aie pas une toute petite fille à gâter, car j'achèterais les yeux fermés !
Je vais allé voir.....hhhuuummmm ma Crapouillette en Délou....trop beau !!
Merci pour ma fête....et ben oui, j'suis toujours toute confusionnée !!!!
MAis j'ai trouvé de quoi me faire pardonner :D :p
Que de jolies choses ! Bonne chance pour ces ventes !
"Là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté..." une bien belle armoire remplie de trésors!
Et les vetements de p'tits gars ???
Blanche.
papi : quand tu veux, je m'en occupe ! si tu veux, on fait ça l'été prochain... un vêtement en vente, une tagada, un vêtement en vente, une tagada...
Cécile c : avec ebay, vaut toujours mieux ouvrir l'oeil !
cath : avec autant de cheveux ??!! ;)
T'as rien à te faire pardonner, voyons !!!
Eärewen : maintenant que la machine est lancée, ce serait bien qu'elle avance...
Blanche : quelques vêtements de garçon... mais j'en ai déjà vendu pas mal dans les petites tailles... et le reste, ils l'ont consciencieusement flingué !
les pages finissent pas se tourner tout doucement .. quand le moment est arrivé
Courage ensuite pour les paquets !
Dis donc, y'a tout plein de souvenirs dans cette valisette!
...Et sinon, la ronchon, t'as réglé tes comptes avec la pom? ;-))
MERCI !! Je suis tellement contente mais je dois dire aussi très émue d'avoir pu à nouveau lire un de vos si jolis textes. J'étais tombée par hasard sur votre blog couture que j'ai reconnu au premier coup d'oeil : ce sens des titres..Un an quasiment après que la porte se soit fermée.Et je passe maintenant de temps à autre ici dans l'espoir de lire un peu plus qu'une ligne ou deux. Ce soir je suis exaucée et c'est plutôt cool.
Ah, ce que j'aimerais pouvoir t'acheter ton lot entier !
La semaine dernière, je suis allée fouiner dans les vêtements de petite fille, dans les sacs bien fermés... et c'est plus que la nostalgie de saison que j'ai ressenti, crois-moi.
Je t'embrasse Cécile, et bravo pour cette détermination à regarder devant toi.
Telle
J'ai commencé il y a plusieurs mois... En me disant que je gardais encore certains vêtements, que plus tard je réouvrirai les cartons et me séparerai encore de certains, doucement on laisse fielr le temps, parfois c'est un peu difficile.
Stèph de Suisse
Je confirme ,moment trés difficile à passer, heureusement qu'un déménagement m'a pousser à le faire...je suis contente une petite fille choisie par nous les portent!!!
C'est bien courageux, moi j'ai la chance davoir une armoire juste pour les vétements qui me tiennent tant à coeur, du coup, je les garde précieusement.
Merci Cécile pour ce beau texte si sensible.
Je commence tout juste à vider les armoires de mes enfants : 8 ans de tri à faire... J'en ai été incapable jusque là. Mais je crois que le déclic est venu d'une certitude : le temps d'une nouvelle maternité n'est plus envisagé chez nous.
Savoir renoncer : ce n'est pas rien... Il faut surtout se dire que tout recommence, autrement...
je ne me sens pas prête à lever l'ancre... et puis...ça tourne dans la famille...ultime et facile raison de reculer le moment du grand vide nécessaire....
Ce que j'aime chez toi, c'est que l'on n'a pas impression d'assister à une simple vente d'ebay mais à un "Literature Festival". Tu fais tout avec l'élégance.
... Et les souvenirs... je n'arrive toujours pas à me séparer de la layette de mes enfants.
C'est raconté avec délicatesse, soin et élégance comme tout ce que tu fais. Merci de partager ce moment si difficile où il faut tourner la page. Mon unique princesse va bon train sur ses dix ans .. j'ia depuis longemtps compris qu'elle n'aurait pas de petite soeur . Neanmoins qu'il est difficle de se séparer " pour de bon" de toutes ces pages de notre histoire.
J'ai la chance de pouvoir prêter les vêtements des garçons à mes petites soeurs et de les voir encore portés par mes neveux avant de les récuperer pour un ultime passage sur le dos de messieurs les derniers où ils finissent tranquillement de s'user avant de mourir de mort naturelle.
la boucle se boucle toute seule.
Je veux bien croir que ce soit un moment plein de nostalgie !!! Dis voir, tu crois que je rentrais dans tes adorables manteaux ;))) nan, je plaisante !!! Par contre, j'ai donné à l'adresse à mes soeurs. Gros baisers et bonne nuit
Ça me remue tout ça. Je suis dedans. En plein. Je me sépare des affaires de mon premier né, un garçon. Je n'arrive pas à me séparer des affaires de la dernière...elle a huit mois, c'est trop frais.
Vous le décrivez bien.
Merci.
Un très beau texte...je viens de lire un de tes commentaires, et c'est vrai que pour les garçons...garder c'est plus difficile!!! les pantalons du grand ne vont pas jusqu'au petit...
holala........j'ai eu peur..... j'croyais au debut que tu m'étais le bébé sur ebay............
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